Présentation du contexte et des données
Dans le cadre de la préparation du marathon de Séville, des données ont été enregistrées lors de 96 sessions d’entraînements réparties sur 12 semaines de préparation. Une semaine de coupure a été effectuée en début de préparation (semaine 49), afin de régénérer l’organisme après un premier cycle d’entraînement de deux semaines. Parmi ces données, on relève entre autres, le temps, la vitesse, la distance, la puissance [1] et la fréquence cardiaque. Trois outils de mesures permettent d’effectuer ces mesures : une montre de type GNSS (Global Navigation Satellite System), un capteur de puissance qui se positionne sur le dessus de la chaussure (Stryd) et enfin une ceinture cardiofréquencemètre Garmin HRM-Dual.
Les mesures sont, dans un premier temps, enregistrées par les différents outils en continu. Des analyses longitudinales sont faites à partir d’agrégations de ces données de sorte à avoir, in fine, un indicateur type pour chaque session (FC moyenne, FC maximale, distance totale, puissance moyenne, puissance maximale, etc).
L’objectif sous-jacent aux mesures consiste à analyser la stratégie d’entraînement hebdomadaire mise en place à partir de la répartition des charges d’entraînements [2]. Ainsi, nous allons présenter cette analyse tout en portant une attention particulière aux des séances d’entrainement clés à haute intensité, afin d’observer les capacités à maintenir des hautes intensités sur des temps d’effort cibles. Ensuite, nous analyserons la performance en compétition à partir de mesures biomécaniques continues, tels que les temps de contacts au sol et la puissance afin d’identifier des leviers d’optimisation de la performance par l’entrainement
[1] La puissance est collectée via le capteur Stryd qui renvoie une estimation de la puissance globale (puissance mécanique pondérée par un facteur physiologique)
[2] Représentation de l’effort réalisé à partir d’informations objectives et/ou subjectives
Etude de la stratégie d’entrainement
L’objectif de cette première partie est d’étudier la répartition des séances d’entrainement pendant 12 semaines. Traditionnellement, des zones d’entraînement sont préalablement définies soit par des mesures objectives (lors de tests d’efforts), soit par des approximations, afin de cibler les intensités spécifiques de travail forgeant les programmes d’entrainement. Ces zones, propres à chaque athlète, sont établies en fonction de valeurs maximales atteintes ou estimées pour chaque paramètre. Elles s’expriment généralement en % de la fréquence cardiaque maximale (avec une correspondance en battements par minute, bpm), ou en % de la puissance maximale aérobie [3] (PMA, avec une correspondance en Watts, W).
[3] Puissance atteinte lorsque l’organisme atteint sa capacité maximale de consommation d’oxygène
Etude des charges d’entrainement
Les zones d’entraînement sont présentées dans les tableaux suivants et sont accompagnées d’une interprétation faisant écho aux processus physiologiques impliqués dans l’effort :
L’interprétation des zones de puissance est réalisée par analogie avec les zones de fréquence cardiaque afin d’avoir une certaine cohérence et de faciliter les interprétations.
En course à pied on retrouve deux typologies d’entraînement, toutes basées sur une répartition spécifique des zones et intensités d’effort. Les deux méthodes d’entraînement sont les suivantes :
- L’entraînement polarisé qui consiste à courir environ 80% du volume hebdomadaire en endurance c’est-à-dire entre les zones 1 et 3 (récupération, endurance, tempo), environ 15% du volume au seuil à savoir en zone 4 et enfin moins de 5% du volume à intensité maximale (VO2 max) donc en zone 5.
- L’entraînement au seuil qui consiste à courir au moins 20% du volume hebdomadaire en zone 4.
L’objectif de l’entraînement polarisé est de contraster significativement les zones 1 à 3 avec la zone 5 qui devient extrêmement couteuse physiologiquement et nerveusement tout conservant un volume non négligeable d’entraînement au seuil ventilatoire ou lactique afin de favoriser une tolérance à l’accumulation du lactate sanguin.
L’entraînement au seuil quant à lui vise à répéter les efforts afin d’atteindre un seuil de lactate suffisamment important sans pour autant dépasser une certaine borne pour ne pas basculer en zone 5 et donc en VO2 max ou PMA. En ne dépassant pas cette borne, cela permettrait de récupérer plus rapidement contrairement à des répétitions en zone 5 qui sont comme expliqué précédemment extrêmement couteuses.
Les analyses suivantes permettent d’analyser la répartition de la charge d’entraînement (puissance et fréquence cardiaque) à l’échelle d’une semaine d’entraînement sur l’ensemble du cycle de 12 semaines de préparation.
Etude du volume d’entrainement
L’analyse des cycles d’entraînement doit impérativement être mise en relation avec l’analyse du volume hebdomadaire. En effet, dans une démarche d’optimisation de la performance par l’entraînement, on peut chercher à avoir une répartition homogène de l’intensité d’entraînement, tandis que le volume peut quant à lui augmenter progressivement pour atteindre un pic deux ou trois semaines avant l’objectif pour ensuite diminuer progressivement (sans pour autant diminuer l’intensité). A noter, il existe une infinité de planifications possibles. Cette approche pyramidale en est un exemple, mais en aucun cas une « recette miracle ».
La figure suivante présente à la fois l’évolution du volume sous une forme absolue et relative (i.e. en valeur « brute » et en % de variation à chaque semaine).
Analyse et synthèse :
Les analyses de la décomposition des cycles d’entraînement montrent la mise en place d’une stratégie de polarisation classique des entraînements avec répartition des efforts d’endurance pour plus ou moins 80% du volume hebdomadaire, et 15% à 20% hebdomadaire d’efforts effectués au seuil, le reste étant attribué à des efforts proche de l’intensité maximale. On observe une stabilité des intensités d’effort au cours des différentes semaines avec toutefois certaines semaines marquées par des entraînements plus intenses, favorisant les séances en Z5, mais en quantité et durée limitée afin de préserver le système neuromusculaire.
Concernant l’évolution du volume hebdomadaire, on remarque que les 5 premières semaines sont marquées par des variations et une discontinuité du volume d’entraînement, en partie dûes à la période de vacances hivernales. On remarque ensuite une augmentation progressive du volume d’entraînement pour atteindre un pic deux semaines avant l’objectif, dont une semaine atteignant 146km. Enfin, sur les deux dernières semaines, on note une décroissance du volume hebdomadaire jusqu’à la semaine de l’objectif final, avec 83 km parcourus dont le marathon.
Analyse de l’indice de performance sur les séances à haute intensité
Pré-analyse
Dans cette partie, nous nous intéressons aux capacités à maintenir une intensité d’effort élevée sur des séances clés à haute intensité. Pour cela, nous considérons les séances de fractionné à intensité proche de l’intensité max et analysons les progrès réalisés pendant les 12 semaines de préparation. A partir d’un échantillon d’une quinzaine de séances, nous regardons dans un premier temps les séances pour lesquelles les intensités ont été les plus élevées à partir de la distribution des fréquences cardiaques suivantes :
Analyse :
On remarque que la distribution des fréquences cardiaques sur les séances de fractionné suivent une distribution normale. Dans la mesure ou nous souhaitons nous intéresser aux intensités maximales, nous écartons les phases d’échauffement et de récupération caractérisées par des fréquences cardiaques moyennes inférieures à 155 bpm.
Analyse de l’indice de performance
Parmi les intervalles d’effort donc la FC est supérieure à 155bpm, nous isolons les intervalles de travail pour lesquels la fréquence cardiaque croit sur plus de 30 secondes afin de s’assurer que nous travaillons bien sur des phases d’effort propices à une étude de la cinétique de FC. Par conséquent, certaines séances à intensité sous-maximale sont exclues de l’échantillon. Finalement, 8 séances sont conservées dans l’échantillon, sur lesquelles nous allons calculer les indices de performance. Les séances sont réalisées sur terrain plat.
Pour ce faire, nous exploitons deux indicateurs mesurés lors des efforts par les différents outils de mesure à savoir la vitesse instantanée et la fréquence cardiaque. Ces deux indicateurs sont normalisés [4] afin d’avoir une échelle commune comprise entre 0 et 1, puis l’indice de performance est calculé comme étant le ratio entre la vitesse normalisée et la fréquence cardiaque normalisée.
Il est important de mettre en parallèle l’analyse de la performance avec la dynamique de course. Pour cela, nous exploitons les temps de contact au sol ainsi que l’oscillation verticale qui sont des témoins de l’efficience de la foulée. Ces deux indicateurs sont mesurés par le capteur de puissance Stryd et sont normalisés.
Enfin, la moyenne des trois indicateurs est calculée pour chacune des 8 séances, le graphique suivant permet d’observer l’évolution de l’indice de performance moyen et des indices d’efficacité de course moyens.
[4] Normalisation min-max : (x-min(x))/(max(x)-min(x))
Analyse :
On remarque que l’indice de performance à tendance à s’améliorer progressivement sur les séances à haute intensité. Il semblerait donc que la répétition des efforts à haute intensité a été efficace et démontre une certaine progression durant le cycle d’entraînement.
Parallèlement, on remarque que lors des premières séances, les temps de contact au sol sont longs et l’oscillation verticale est faible, le tout accompagné d’une importante variabilité, témoignant d’une irrégularité et d’une foulée moins efficace. Ce phénomène s’inverse au fil des séances, avec des temps de contact au sol qui deviennent de plus en plus courts, une oscillation verticale de plus en plus importante, et une diminution de la variabilité de ces deux indicateurs, ce qui témoigne d’une foulée de plus en plus efficace.
Synthèse :
Les cycles d’entraînement semblent avoir été efficaces dans une démarche de progression et d’amélioration des capacités cardiovasculaires et des capacités neuromusculaires essentielles pour maintenir une vitesse et une intensité d’effort élevée le jour de la course. En effet, l’indice de performance progresse sur les séances proches de l’intensité maximale, c’est-à-dire sur des séances au-dessus du seuil lactique donc à VO2 Max. La foulée semble devenir de plus en plus efficace au cours de la préparation, car on observe une diminution progressive des temps de contact au sol, associée à une augmentation de l’oscillation verticale. La diminution de la variabilité de ces deux témoins mécaniques est également le signe d’une foulée à la fois plus efficace et plus régulière.
Cependant les cycles d’entraînements pourraient être optimisés avec l’ajout de quelques séances proches de l’intensité maximale tout en respectant les zones de travail en z4 voir z5.
La foulée reste également un levier de progression important en course à pied. Pour l’améliorer, il est essentiel de travailler sur l’ensemble du complexe musculo-tendineux et sur ses paramètres mécaniques, tels que :
- la puissance mécanique et les capacités musculaires sous-jacentes (force et contractilité),
- les qualités de stockage et de restitution de l’énergie au travers des tendons, en intégrant des séances de musculation, de côtes, ainsi que davantage de pliométrie qui stimulent ces processus.
Avec une foulée toujours plus efficace, il sera ensuite plus facile de travailler le système cardiovasculaire, car pour un même effort, une efficacité mécanique accrue réduira le coût énergétique de la foulée. Ainsi, la performance en compétition sera améliorée, puisque tous les facteurs de performance auront été travaillés et optimisés au cours de la préparation.
Décroissance de performance
Après avoir analysé la décomposition des cycles d’entraînement ainsi que l’indice de performance sur les séances à haute intensité, nous allons nous concentrer sur les données mesurées le jour de l’épreuve. Le marathon de Séville a été couru uniquement avec la montre GNSS et le cardiofréquencemètre. Aucune donnée de puissance n’est donc disponible.
L’objectif de cette partie est donc d’analyser 3 paramètres : la fréquence cardiaque mesurée lors de l’effort, la vitesse instantanée et la cadence de course sur le marathon.
Contexte de la compétition
Dans un premier temps, le tableau ci-dessous résume l’épreuve et la performance associée :
Avant d’analyser les cinétiques de vitesse et de fréquence cardiaque le jour de la course, il est important de prendre en considération les conditions de course pouvant impacter positivement ou négativement la performance. Pour cela, nous nous attardons sur trois paramètres environnementaux : le dénivelé, la température, et enfin la vitesse du vent.
Le graphique ci-dessous permet de constater que le profil du marathon de Séville ne comporte pas de difficulté majeure. En effet, il est extrêmement plat avec une altitude moyenne d’environ 13m au-dessus de la mer et un dénivelé total de 48m (mesure effectuée par la montre GNSS).
Concernant l’évolution de la température au cours de l’épreuve, celle-ci était de 9 degrés au moment du départ et de 14,5 degrés à l’arrivée. La force du vent était faible et oscillait entre 5 km/h et 13 km/h.
Toutes les conditions étaient donc réunies pour réaliser une bonne performance.
Analyse de la performance
La fréquence cardiaque ainsi que la vitesse instantanée sont exploitées pour calculer un indice de performance continu sur l’ensemble de la compétition. Ces deux indicateurs sont normalisés de sorte à calculer l’indice de performance (ou d’efficacité), par le rapport entre les deux variables. Le graphique suivant présente l’évolution des trois indicateurs sur les 42,195 km du marathon de Séville.
Analyse :
On remarque que la vitesse est relativement constante jusqu’aux environs du 33ème km, où nous pouvons observer une chute sur 5 km avant de légèrement augmenter sur la fin de course. La fréquence cardiaque, quant à elle, augmente progressivement tout au long de la course avec une accentuation sur la seconde moitié de la course. En toute logique, on aperçoit une diminution de l’indice de performance au fil de la course, avec trois phases critiques.
La phase 1 concerne les 2-3 premiers kilomètres de course (zone grise) et met en évidence des cinétiques de vitesse et de fréquence cardiaque différentes. Alors que la vitesse instantanée illustre l’intensité, sur le plan mécanique et à chaque temps, la fréquence cardiaque connait un délai dû à une mise en route du système cardiovasculaire. Plus précisément, à effort constant et pour une vitesse soutenue, une forte croissante de la fréquence cardiaque est observée jusqu’à atteindre un seuil [5] marquant une phase de stabilisation, qui évoluera tout au long de la course de manière distincte. L’indice de performance est donc significativement impacté lors de cette phase et connait une chute significative, mais attendue.
En phase 2 (zone bleue), on observe à nouveau une baisse significative de l’indice de performance. Alors que la fréquence cardiaque suit son cours et continue de croître légèrement, la vitesse de course diminue considérablement. Ce moment de la course fut le plus dur avec une perte de vitesse et un niveau de fatigue musculaire important. Il a alors été indispensable de bien gérer cette période sur le plan de l’alimentation et de la gestion de l’effort pour retrouver un gain de forme et d’énergie sur la fin de course.
Enfin, la dernière phase concerne le rebond observé en fin de course, où l’approche de la ligne d’arrivée et la motivation sous-jacente ont permis d’augmenter légèrement l’allure sur une courte durée, sans pour autant mettre en défaillance le système cardiovasculaire.
Une telle analyse n’a d’intérêt que si elle est mise en parallèle avec une analyse de la dynamique de course. La compétition s’étant déroulée sans capteur de puissance, nous utiliserons la cadence de course mesurée par la montre GNSS. Une cadence élevée réduit le temps de contact au sol, rendant la foulée plus réactive et minimisant ainsi la perte de force et d’énergie lors du rebond.
Le graphique suivant permet d’analyser la cadence de course par tranche de 5km tout au long de la course.
[5] Seuil à partir duquel on passe d’une forme logarithmique à linéaire avec une pente relativement faible
Analyse :
On observe une diminution progressive de la cadence de course moyenne au fil de l’effort. Toutefois, il n’y a pas de chute brusque, et un rebond est même perceptible sur les deux derniers kilomètres.
Cette diminution progressive est corrélée avec la baisse de l’indice de performance mise en avant précédemment. Plus précisément, la période où la cadence de course est la plus faible correspond au moment où la fréquence cardiaque augmente le plus (phase 2), ce qui témoigne d’une fatigue neuromusculaire avancée. Cette fatigue entraîne un effort de plus en plus « forcé » pour maintenir une vitesse élevée. La dynamique de course se dégrade alors, avec une foulée plus écrasée, provoquant une augmentation du temps de contact au sol ainsi qu’une sollicitation accrue des fibres musculaires pour la propulsion, ce qui contribue à l’élévation de la fréquence cardiaque.
Enfin, la dernière phase, durant laquelle on observe un rebond de la cadence, correspond à la fin de course, marquée par un regain de motivation et d’énergie. À ce moment, on se sent plus léger, et la foulée devient plus efficiente, avec des temps de contact au sol plus courts, réduisant ainsi le coût énergétique de la foulée. Cependant, cette amélioration ne dure que sur une courte période.
Synthèse :
L’analyse des différents indicateurs de performance mesurés lors du marathon de Séville permet de mettre en évidence une diminution progressive de la performance au fil de la course. En effet, l’indice de performance, qui dépend directement de la vitesse instantanée et de la fréquence cardiaque, décroît progressivement tout au long des 42,195 km. Cette diminution est corrélée à une baisse de la cadence de course, qui témoigne d’une diminution de l’efficacité de la foulée. En effet, le temps de contact au sol s’allonge, entraînant une augmentation progressive de la perte d’énergie lors du contact avec le sol.
Cependant, aucune dérive ou chute brutale de ces marqueurs n’est observée. On distingue plutôt plusieurs phases au cours desquelles les difficultés mécaniques et musculaires varient en intensité (phases 1, 2 et 3). Il semblerait donc que ces baisses de performance soient principalement dues à la fatigue accumulée au cours de la compétition.
Pour pallier la diminution de performance lors d’un tel effort, plusieurs axes de travail peuvent être envisagés, selon les trois points suivants :
- Travail cardiovasculaire : maintenir des efforts à différentes intensités et sur divers intervalles de temps pour solliciter le système cardiovasculaire (endurance, VMA, PMA…).
- Travail musculaire : inclut des entraînements de résistance, comme les séances de course en côte et les séances de musculation.
- Travail pliométrique : consiste à réaliser des mouvements puissants et explosifs pour améliorer les qualités neuromusculaires.
+ d’infos sur l’auteur
Cet article a été rédigé par Maxime Rioland, consultant data chez Seenovate et trailrunner. Les données utilisées pour cet article sont celles de sa préparation pour le marathon de Séville.