Introduction
L’histoire des fléchettes
Longtemps associées à la culture des pubs, les fléchettes s’imposent comme l’un des sports les plus « hype », avec des prize-money vertigineux, des tournois à guichets fermés à travers le monde et des champions au charisme indéniable. Même les stars du football anglais sont séduites, avec leurs shows aux ambiances survoltées, les fléchettes sont en vogue, et ni les joueurs ni les fans ne semblent rassasiés.
Si l’apparition des fléchettes remonte à plusieurs siècles (historiquement utilisées par les soldats britanniques lors de leurs entraînements), elles se sont imposées dans les pubs anglo-saxons au XVIIIᵉ siècle. Les fléchettes deviennent un véritable sport en 1908 avec la création de règles officielles. Elles connaissent ensuite des hauts et des bas à travers l’histoire. Après un véritable essor dans les années 1970 et une professionnalisation du sport, les fléchettes restent pourtant moquées en 1983, malgré 23 tournois télévisés. Leur culture d’origine est tournée en dérision, jusqu’à être parodiée dans des sketches humoristiques, ce qui n’est évidemment pas du goût des plus grands joueurs de l’époque.
La naissance de la Professional Darts Corporation (PDC) en 1992 marque un tournant pour les fléchettes. Trente ans plus tard, lors de la saison 2022-2023, le prize-money atteint des sommets avec 20 millions d’euros, et les joueurs deviennent de véritables stars. Les fléchettes s’imposent alors comme un sport reconnu à l’échelle mondiale, avec des compétitions télévisées prestigieuses qui déchaînent les foules.
Dans un milieu extrêmement masculin, Fallon Sherrock est devenue la première femme à battre un homme lors des championnats du monde de 2019, prouvant que les femmes peuvent rivaliser avec les hommes. Les experts sont persuadés que les fléchettes vont exploser chez les femmes avec l’arrivée de Beau Greaves, qui s’impose comme un modèle pour nombre d’entre elles. Preuve de cet engouement : les fléchettes affichent la meilleure part d’audience féminine sur Sky Sports, avec 40 % de téléspectatrices en moyenne.
La règle du 501
Si chaque bar possède sa variante, la règle reine reste le 501 ! Les joueurs commencent avec 501 points et doivent descendre à 0 le plus rapidement possible. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas le centre qui rapporte le plus de points. En effet, la cible comporte deux anneaux rouge et vert : l’un à l’extérieur, qui double les points, et l’autre à l’intérieur, qui les triple. Le meilleur coup est donc le triple 20, qui rapporte 60 points, alors que le centre de la cible n’en rapporte que 50. Chaque joueur lance trois fléchettes à tour de rôle, espérant réaliser le fameux 180 – soit trois triple 20 – qui enflamme le public dans les salles.
Facile, diriez-vous… Mais à 2,37 mètres de distance, avec une cible de 45,1 cm de diamètre, où les zones de double et de triple ne mesurent que 8 mm de large et le centre 12,7 mm de diamètre, la tâche est loin d’être simple ! Pour compliquer encore les choses, le dernier coup doit impérativement être un double. Par exemple, un joueur à 20 points doit absolument viser un double 10 pour atteindre 0 !
L’enchaînement parfait ? Le « 9 darters » !
Passer de 501 à 0 en seulement neuf fléchettes est probablement ce qui enflamme le plus les foules, d’autant plus que lorsqu’un joueur y parvient, il empoche 60 000 £… Ainsi qu’un membre du public !
Selon les compétitions, les matchs se déroulent en plusieurs manches ou en plusieurs sets composés de manches. Par exemple, un match de championnat du monde se remporte lorsqu’un joueur atteint un certain nombre de sets, ce seuil augmentant au fil de la compétition. Pour gagner un set, il faut remporter trois manches, tandis qu’en Premier League, un match se gagne lorsqu’un joueur remporte six manches.
Et en France ?
L’apogée des fléchettes en France remonte au début des années 2000, avec près de 3 000 licenciés. Dans cette nouvelle ère, les fléchettes attirent de plus en plus de jeunes, et les plus grands tournois internationaux sont diffusés gratuitement sur la chaîne L’Équipe, confirmant ainsi une popularité grandissante. Pour le grand public, des bars à fléchettes voient le jour, constituant peut-être un premier pas pour certains futurs cracks des fléchettes !
Mais dans une récente interview accordée au journal L’Équipe, le meilleur joueur français, Thibaut Tricole, souligne un manque d’intérêt national pour les performances des Français sur le circuit international. Question de temps ou véritable décalage culturel ? L’avenir nous le dira.
Les chiffres clés
Les chiffres montrant l’envolée populaire des fléchettes sont aussi rares qu’un « 9 darters », et pourtant, nous allons tenter de vous prouver à quel point les fléchettes deviennent le sport incontournable !
Le nombre de minutes qu’il a fallu pour que les 40 000 billets pour assister à l’une des rencontres des championnats du monde 2024/2025 à Londres soient vendus.
Millions de téléspectateurs cumulés sur la chaîne L’Équipe durant toute la durée des championnats du monde 2024/2025 à Londres. Le graphique suivant témoigne également de l’engouement des téléspectateurs au Royaume-Uni pour les championnats du monde ces dernières années.

Figure 1. Evolution du pic d’audience Sky UK, les pourcentages représentent l’évolution par rapport à l’année précédente.
Millions de dollars de revenus de sponsoring des championnats du monde 2024/2025, du jamais-vu pour ce sport !
L’âge de Luke Littler lorsqu’il devient champion du monde pour la première fois cette année, faisant de lui le plus jeune champion du monde de l’histoire. Il détrône ainsi Michael Van Gerwen, son adversaire en finale, qui était devenu champion du monde à 24 ans en 2014.
Soit le prize-money total en millions de livres distribué lors des championnats du monde. Une somme stable depuis 2019, comme en témoigne le graphique suivant.

Figure 2. Prize-money lors des éditions des championnats du monde depuis 2006
Top Players
Il existe différents circuits internationaux regroupant des compétitions plus ou moins prestigieuses, attirant des joueurs de niveaux variés. Le circuit le plus prestigieux est la PDC, qui organise notamment les championnats du monde ainsi que la Premier League, un championnat en 17 étapes où les 8 meilleurs joueurs du monde s’affrontent chaque semaine.
La British Darts Organization (BDO) a longtemps organisé les championnats du monde avant la montée en puissance de la PDC. Bien qu’elle ait cessé ses activités en 2020, certains tournois continuent d’être organisés sous d’autres bannières. Enfin, la World Darts Federation regroupe de nombreux pays et organise des tournois pour promouvoir les fléchettes à travers le monde, tandis que la PDC Europe organise des tournois secondaires à travers l’Europe.
Nous allons nous intéresser à différentes métriques afin de dresser un état des lieux des meilleurs joueurs du moment, comme le prize-money, véritable témoin de performance, puisque les joueurs ayant remporté le plus d’argent sont ceux ayant gagné les tournois les plus prestigieux. Mais nous allons également observer des indicateurs techniques comme le nombre de points moyen par volée, le nombre de 180 sur l’année en cours, ou encore le pourcentage de réussite au double pour conclure une manche.
À noter que ces indicateurs peuvent varier rapidement dès qu’un tournoi a lieu. Les données que nous allons présenter datent du 26/03/2025 et portent sur les 12 derniers mois.
Prize-Money : Des Champions Millionnaires
Si les femmes ont l’ambition de se faire une place dans le monde des fléchettes, elles sont malheureusement loin de l’engouement et de la médiatisation consacrés aux hommes. Cela se manifeste nécessairement par une différence considérable au niveau du prize-money. En effet, les meilleurs joueurs masculins ont dépassé le million d’euros de gains, rien que sur le plan purement sportif, tandis que les meilleures femmes, parfois emblématiques comme Beau Greaves ou encore Fallon Sherrock (première femme à avoir battu un homme lors des championnats du monde, rappelons-le), n’atteignent que quelques milliers d’euros de prize-money.
Le graphique suivant montre cette inégalité notable entre les hommes et les femmes :

Figure 3. Répartition des prize-money entre les tops 10 hommes et femmes
Qu’en est-il sur le plan de la performance stricte ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous avons étudié trois métriques qui permettent d’évaluer le niveau d’une joueuse ou d’un joueur :
- Le nombre de points moyen par volée : il témoigne de la capacité à marquer beaucoup de points avec trois lancers. Plus la moyenne en match est élevée, plus un joueur se rapproche rapidement de 0.
- Le nombre de 180 : là aussi, c’est un marqueur de précision et d’efficacité. L’enchaînement de trois fléchettes dans la zone du triple 20 est l’un des graals des fléchettes.
- Le % de checkout, c’est-à-dire le % de réussite au double pour conclure une manche : les deux premières métriques témoignent de la capacité à être régulier et à marquer beaucoup de points. En revanche, si un joueur est en difficulté pour réaliser un double et donc gagner une manche, il s’expose à la pression de son adversaire.
Nombre de points moyen par volée

Figure 4. Moyenne de points par volée (3 fléchettes) des tops 10 homme et femme
On peut constater que l’écart de points moyen par volée est plutôt faible chez les hommes, avec environ 4 points d’écart seulement entre le premier et le dixième. Chez les femmes, en revanche, l’écart est plus conséquent : ne serait-ce qu’entre celle qui domine le classement, Beau Greaves, avec 87 points de moyenne, et la deuxième, on observe un écart de plus de 6 points. Cet écart continue de croître, avec environ 13 points d’écart entre la première et la dixième du classement.
Nombre de 180

Figure 5. Nombre de « 180 » sur les 12 derniers mois
Chez les hommes, l’écart entre le prodige Luke Littler et ses adversaires est très impressionnant. En effet, il compte plus de 200 « 180 » de plus que le deuxième et plus de 400 de plus que le 10ème du classement ? Chez les femmes, l’écart est également important, une nouvelle fois entre Beau Greaves et ses adversaires. Si les trois premières comptent à leur actif entre 130 et 261 « 180 », les poursuivantes semblent très loin derrière, puisqu’elles ont réussi à réaliser le coup parfait moins de 95 fois.
Pourcentage de Checkout

Figure 6. Part des checkout sur les 12 derniers mois
Le premier constat chez les hommes est que les 10 meilleurs au checkout ne font pas nécessairement partie des meilleurs mondiaux, à l’exception de Damon Heta, qui occupe la tête de ce classement et qui est actuellement 7e au prize-money ainsi que l’inévitable Luke Litler. Encore une fois, les écarts sont resserrés chez les hommes, avec environ 4 % de réussite au checkout en plus pour le premier comparé au 10e meilleur. Chez les femmes, on retrouve une nouvelle fois Beau Greaves tout en haut du classement. Les écarts sont cependant un peu moins prononcés entre la meilleure au checkout et ses principales adversaires, avec moins de 6 % d’écart entre Beau Greaves et Vicky Pruim, qui occupe la dixième place.
Le parcours des deux finalistes des championnats du monde
Un duel au sommet
Les fans en rêvaient, ils l’ont eu ! Probablement la plus belle affiche possible en finale du championnat du monde 2024/2025, disputée le 3 janvier dernier. Luke Littler, déjà finaliste à 16 ans, se retrouve de nouveau en finale, confronté à l’ogre néerlandais Michael van Gerwen, triple vainqueur et considéré comme l’un des meilleurs joueurs de l’histoire des fléchettes.
Si le duel paraissait équilibré sur le papier – après 12 confrontations, le bilan était parfaitement à égalité avec six victoires chacun –, le nouveau surdoué des fléchettes a balayé l’une des légendes de ce sport, ne lui laissant aucun espoir dans sa quête d’un quatrième titre mondial.
Revenons ensemble sur le parcours de ces champions qui bousculent les codes des fléchettes, ainsi que sur les faits marquants de cette finale.
Leur parcours pendant la compétition
Evolution du nombre de point moyen
Le nombre de points moyen est un véritable témoin de performance ; il permet d’analyser la constance de chacun des joueurs.

Figure 7. Performances moyennes de Littler Luke et Gerwen V. Michael lors des championnats du monde 2024/2025
On peut voir que Michael Van Gerwen est monté progressivement en puissance jusqu’en quart de finale, avec une moyenne par volée qui a augmenté au fil des tours. Littler, lui, a maintenu des standards élevés tout au long du tournoi, à l’exception d’une moyenne de 98 lors de son 1/16 de finale. Son nombre moyen est constamment au-dessus des 101.
Lors de leurs deux demi-finales respectives, les deux joueurs ont écrasé leurs adversaires 6 sets à 1. Cependant, on peut voir que leurs moyennes par volée sont nettement différentes, puisque Van Gerwen affiche une moyenne de 99, tandis que Littler atteint les 105 points de moyenne, son meilleur total du tournoi.
Enfin, en finale, le niveau des deux joueurs était stratosphérique durant 10 sets. Si Luke Littler s’est imposé 7 sets à 3, il a dû s’employer face à son adversaire, qui affiche une moyenne de 101, ce qui est une très grosse performance sur un match aussi long.
Pourcentage de Checkout
Le pourcentage de checkout est un témoin de la capacité à conclure une manche, c’est-à-dire à réaliser un double lorsque l’occasion se présente. C’est un véritable moment de pression pour les joueurs, surtout si leur adversaire est en mesure de remporter lui aussi la manche lors de la volée suivante. Regardons comment nos deux finalistes ont réussi à gérer ces moments de pression pendant le tournoi.

Figure 8. Pourcentage de checkout lors du tournois des championnats du monde 2024/2025
Luke Littler a vécu un début de tournoi assez stressant, puisqu’il n’est pas passé loin de l’élimination lors du 1/8 de finale, où il s’est imposé sur le fil 4 sets à 3. En témoigne son pourcentage au checkout, loin de ses standards habituels, ce qui l’a mis en difficulté malgré une moyenne de points par volée élevée, comme nous l’avons vu précédemment. Pour Van Gerwen, les premiers tours se sont plutôt bien passés, malgré un pourcentage au checkout assez faible en 1/16 de finale.
Mais le rapport de force s’est inversé dès les quarts de finale, où Luke Littler est revenu à des standards aux alentours de 45 % de réussite, tandis que Van Gerwen a vu son taux de réussite diminuer progressivement.
En finale, c’est le grand écart, puisque le prodige anglais affiche un pourcentage de réussite impressionnant de 55 %, tandis que son adversaire expérimenté voit son taux de réussite chuter à 37 %. C’est le point clé de cette finale, puisque le Néerlandais n’a pas su saisir les occasions qui se présentaient à lui lorsqu’il pouvait mettre sous pression son adversaire.
Les temps forts de la finale
L’évolution du score
Très vite, Luke Littler a mis la pression sur son adversaire, puisqu’il a remporté les 4 premiers sets, mettant déjà Van Gerwen dos au mur.

Figure 9. Evolution du score de Gerwen V. Michael et de Littler Luke lors de la finale des championnats du monde 2024/2025
Puis, la nouvelle star des fléchettes a géré son avance sans jamais se retrouver sous pression, puisque Luke a constamment remporté un set après que Van Gerwen en ait gagné un. Il a donc conservé son avance jusqu’à atteindre les 7 sets, synonyme de titre suprême, le premier de sa jeune carrière.
Un niveau Stratosphérique
Encore une fois, nous allons nous intéresser au nombre de points moyens par volée au cours des 10 sets de cette finale. Comme nous pouvons le voir en figure 1°, cette finale a atteint des sommets, avec 7 sets où l’un des deux joueurs affiche une moyenne proche des 110 points. On note évidemment une alternance avec des moments plus faibles, comme le 9e set, où Littler n’a pas forcé son talent et a laissé son adversaire remporter le set largement avant de repartir de l’avant sur le dernier set. Cette constance démontre à quel point ces deux joueurs ont joué une finale de haute volée, puisque maintenir un tel niveau tout au long du match est tout simplement incroyable.

Figure 10. Points moyens par set lors de la finale des championnats du monde 2024/2025
Pas de domination au 180
On s’attendait à une finale avec une profusion de 180, et pourquoi pas l’un des deux joueurs capables de réaliser un 9 darters. Mais le nombre de 180 était un peu en deçà de ce qui était espéré, comme le montre le graphique suivant.

Figure 11. Nombre de « 180 » lors de la finale des championnats du monde 2024/2025
Au total, 25 « 180 » ont été réalisés : 13 pour Van Gerwen et 12 pour Littler. Aucun des deux joueurs n’a donc pris l’ascendant sur l’autre sur cet aspect durant cette finale. On peut aussi voir que Littler n’a réalisé aucun « 180 » au cours de 4 sets sur 10, ce qui est plutôt étonnant. Dans l’ensemble, les joueurs ne sont pas véritablement parvenus à placer régulièrement 3 fléchettes dans la zone du triple 20, ce qui ne remet en rien en cause le niveau incroyable de cette finale.
Conclusion
Jusqu’où iront les fléchettes ? C’est la question que tout le monde se pose ! En effet, les fléchettes semblent sans limite, comme en témoignent des prize-money toujours plus affolants, des audiences télévisuelles en constante augmentation et, surtout, des champions qui se livrent une lutte acharnée tout en conservant un esprit détendu et bon enfant.
Il est évident que dans les années à venir, de nouvelles stars feront leur entrée sur le circuit international, inspirées par le jeune champion du monde Luke Littler, un prodige bourré de talent qui bouscule les codes des fléchettes. S’il semble promis à une domination sans partage, il devra cependant se méfier des générations futures, lui qui avoue préférer jouer aux jeux vidéo plutôt que s’entraîner.
On peut regretter le manque d’égalité entre les hommes et les femmes, tant en termes de médiatisation que de rémunération, les championnes étant bien moins bien loties que leurs homologues masculins. Mais là aussi, tout pousse à croire que les choses évolueront dans les années à venir. Porté par des figures comme Beau Greaves ou Fallon Sherrock, capables de rivaliser avec les hommes, le circuit féminin pourrait bien se rapprocher de l’élite masculine.
En France, l’engouement reste encore loin de celui observé au Royaume-Uni, mais l’écart semble peu à peu se réduire. Porté par Thibault Tricole, le public français s’intéresse de plus en plus à ce sport, séduit, il faut le dire, par l’ambiance complètement folle de certaines compétitions. La chaîne L’Équipe contribue à sa manière à la démocratisation des fléchettes, et les clubs sont unanimes : l’intérêt pour ce sport ne cesse de grandir !